Page 7 - Bulletin n°44
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De la justice au pardon
jean-claude saada
                    «Le pardon c’est l’instant ultime. Le pardon c’est ce qui intervient après que la condamnation ait été prononcée, c’est-à-dire en définitive après que justice
ait été dite. »
C’est Robert Badinter qui tint ces propos sur France Culture voici quelques années.
La relation avec Rosh Hashana et Kippour est quand même troublante.
Rosh Hashana est le moment de la justice, Kippour est le moment du pardon.
Selon toute logique, on peut supposer que l’ordre devrait être inversé. Si le pardon précède la justice, la justice sera plus clémente. Alors que dans notre tradition, le pardon est postérieur au jugement. Pourquoi ?
Dans la vie courante peut-on accepter la demande de pardon de ceux qui se sont mal conduits, et tout effacer sans qu’ils aient réfléchi auparavant ? Le pardon mécanique et pour tout dire manipulateur n’est pas admissible. C’est une caricature.
Au cours des dix journées séparant les deux fêtes, notre défense tient dans l’observation de nos actes passés, dans les engagements que l’on prend, dans une forme de recueillement qui est en quelque sorte l’amorce de l’année nouvelle. C’est après cette démarche intime que la demande de pardon peut faire sens.
Ce travail accompli, nous demandons pardon à D tout au long des vingt-cinq heures que dure Yom Kippour. C’est le temps de la bienveillance.
Pour illustrer la différence entre la justice de Rosh Hashana et la mansuétude de Kippour, permettez-moi une histoire qui s’est déroulée dans les années 1950 en Union Soviétique.
Il y avait un juif nommé Ivanov, héros de guerre dans l’Armée rouge, ouvrier d’usine, père d’une nombreuse famille, dont la vie était un incessant combat contre la pauvreté et la misère. Pour comble, son usine ne l’ayant pas payé depuis trois mois et sa femme étant malade, il s’était résolu à vendre son manteau au marché noir. Il fut dénoncé, et la police stalinienne ne tarda pas à l’appréhender. Au cours du procès, il lui fut sévèrement
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reproché son geste anti communiste, et malgré son passé glorieux et la reconnaissance de son patriotisme par une lettre que lui avait adressée Lénine lui-même, il fut condamné à vingt-trois ans de travaux forcés en Sibérie. Là-bas, il se mit à prier en se rappelant les quelques prières qu’il avait apprises enfant. Au bout de quatre ans, on lui fit savoir que le juge qui l’avait condamné souhaitait le voir à nouveau. Tremblant de peur, il fut conduit devant cet homme qui l’informa que le peuple soviétique avait pris en considération ses faits éclatants et la lettre d’éloge que lui avait envoyée le camarade Lénine. Qu’en conséquence sa peine était levée. Il était libre. Ivanov trouva le courage de demander à son juge pourquoi ces faits qu’il avait pourtant exposés n’avaient pas été pris en considération lors de son premier procès...
L’homme lui répondit simplement qu’à ce moment ce furent les actes reprochables qui avaient été pris en compte, mais qu’aujourd’hui c’étaient les points positifs.
Ne peut-on pas voir dans cette anecdote le reflet de Rosh Hashana qui nous juge et de Kippour qui nous pardonne ?
Nous sommes un mélange d’actions et de pensées parfois de mauvaise qualité, mais aussi d’actions et de pensées de haute portée. C’est cet enchevêtrement qui caractérise l’être humain.
Les unes et les autres, comme les engagements que nous prenons, nous font aller de la justice à la bienveillance.
C’est cette bienveillance que nous attendons tous de D C’est cette bienveillance que je souhaite à chacune et à chacun.
Shana Tova Hag sameah
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