Page 34 - Mémoires et Traditions
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                   DANS LES TOURMENTES DU XXe SiècLE
Le Consistoire de Paris tient ses engagements. Il nomme le rabbin Joseph Lehmann en novembre 1878 au pastorat du temple. Ce libéral modéré est déjà connu des fidèles car il a prononcé des sermons rue Lamartine.
Le rabbin Emmanuel Weill (1841-1925).
En 1882, il est toutefois remplacé par Emmanuel Weill. Le rabbin connaît bien les Portugais. Il les fréquente depuis son pastorat à Versailles et entretient des relations privilégiées avec certains d’entre eux. Les notables de la rue Lamartine partent régulièrement en villégiature dans l’ancienne cité royale. D’ailleurs, Benedict Allegri, David Léon, Moïse Millaud et Benjamin Monteaux figurent parmi les fondateurs du temple édifié en 1853. Plusieurs objets rituels provenant de la communauté portugaise ont ainsi été donnés au temple de Versailles59. De même, le rabbin Weill est un proche de Cécile Furtado-Heine qui, de par sa double origine, fréquente les deux lieux de culte et a largement participé à la construction du temple Buffault. En 1886, la nouvelle synagogue de Versailles bénéficiera une nouvelle fois de sa générosité. Aussi, Emmanuel Weill s’investit entièrement dans sa nouvelle communauté et ceci jusqu’à sa mort survenue en 192560. Quoiqu’Alsacien de naissance et de mentalité, il s’accommode très vite de la tradition portugaise. Aussi, l’un de ses fils célèbre sa majorité religieuse selon les coutumes du lieu.
Néanmoins, il se montre rigoureux face aux habitudes libérales de certains fidèles. Il maintient la séparation des sexes dans le temple même lors des mariages et réprimande les jeunes femmes qui ont des tenues jugées impudiques. Républicain et patriote, il rend hommage à la Révolution française en évoquant les tribuns dont les noms sont gravés sur l’une des plaques : « Oui, à cent ans de l’événement accompli, Israël proclame à l’éternel honneur votre mémoire, hommes de la Révolution française, vous les Mirabeau, les Clermont-Tonnerre, les abbé Grégoire61. »
L’affaire Dreyfus contrarie cependant l’optimisme du judaïsme français lorsque des incidents éclatent à Bayonne, Paris et Versailles 62. Cependant, le temple Buffault ne subit pas la vindicte populaire. Fonctionnaire et soumis au droit de réserve, le rabbin Weill n’intervient pas sur le sujet dans ses sermons mais il est régulièrement informé des démarches que compte déployer le Consistoire avec la création du Comité de défense contre l’antisémitisme63.
Le temple Buffault attire un public varié avec son cérémonial, la beauté de sa liturgie et l’éloquence de son rabbin. De nombreux Ashkénazes se mêlent aux Séfarades et plusieurs d’entre eux s’y marient. Considérant que cette évolution est un « préjudice à l’administration des temples consistoriaux », le Consistoire de Paris impose un règlement en 1881 qui oblige les administrateurs à verser plus de la moitié des recettes à l’institution. Entre 1878 et 1880, 55 mariages sont célébrés ; de 1900 à 1903, près de 63 et de 1919 à 1921, la centaine est atteinte. Si les unions entre Portugais sont rares (moins de 10%), celles entre Portugais et Allemands sont fréquentes (plus de 16%) ce qui témoigne désormais de la disparition des différences communautaires. Les originaires de l’Empire ottoman et de l’Afrique du Nord choisissent de plus en plus ce temple.
Environ 6% des unions sont faites par des Algériens64. Bien avant la Seconde Guerre mondiale, il apparaît que les mariages entre Portugais sont rarissimes, soit moins de 2%. Plus de cinquante ans après l’inauguration du temple, ils représentent d’ailleurs moins de 20% des fidèles, L’assimilation mais surtout les unions contractées avec les Ashkénazes ont eu raison de leur nombre. Parfois, des convertis au judaïsme choisissent le rite portugais tel Albert Leroy de Bonneville qui demeure, pour la mémoire communautaire, l’architecte du temple.
59 - Dominique Jarrassé,
« Analyse architecturale. », La synagogue de Versailles, Versailles, ACIV, 2006, p. 53. 60 - Sur Emmanuel Weill, consulter le Dictionnaire biographique des rabbins
et autres ministres du culte israélite, sous la direction de Jean-Philippe Chaumont et Monique Lévy, Paris, Berg International, 2007,
p. 738-740.
61 - Benjamin Mossé,
La Révolution française et le rabbinat français, Paris, Durlacher, 1890, p. 226. Allocution du 11 mai 1889. 62 - Pierre Birnbaum,
Le moment antisémite.
Un tour de la France en 1898, Paris, Fayard, 1998, p. 13-89.
63 - Philippe Oriol, Bernard Lazare, Paris, Stock, 2003, p. 232-270.
64 - Renseignements tirés d’après une étude faite sur les registres des mariages du temple Buffault (ACIP, GG.39, GG.41 et GG.241).
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