Page 11 - Bulletin n°43
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 derrière leur doigt. Ils prétendaient qui ne savaient pas ce qui s’est passé, qui l’a fait, qui a collaboré, qui a protégé quand d’autres, et ils étaient nombreux, brisaient, brûlaient, volaient, occupaient l’espace et les possessions des nombreux absents et des rares présents. La lamentation était individuelle. Il nous a fallu une vingtaine d’années pour arriver à 1962 pour offrir un mémorial aux victimes. Où ? A l’intérieur du nouveau cimetière juif, comme si la question ne concernait que des proches et des membres de la communauté juive de la ville. Et quand, 35 ans plus tard, un monument dans un lieu public a été finalement réalisé, il a été exilé aux confins du centre à un point invisible. Et quand ce monument a finalement été placé dans son lieu naturel, la Place de la Liberté, il a provoqué plus de surprise que de satisfaction. Il a fallu attendre 2004 afin que le Parlement grec vote à l’unanimité la commémoration du jour du Souvenir. Il a fallu atteindre 2011 afin d’avoir un jour de mémoire propre à notre ville et 2014 pour que l’Université Aristote de Thessalonique installe un monument qui met en évidence la destruction du cimetière. Et ce n’est peut-être pas si loin le jour où nous verrons une plaque votive dans l’enceinte de Saint-Dimitri, «Saint Dimitri des Juifs morts», dans le véritable mausolée juif de Thessalonique.
La municipalité de Thessalonique est de plus en plus consciente du poids de l’histoire que la ville doit soulever. Maintenant que les survivants nous quittent et que le relais de la mémoire est passé à nous tous, la municipalité entend continuer transformer le silence en parole, parole de consolation, mais aussi parole de courage. Nous voulons que le réaménagement de la Place de la Liberté avec le Musée de l’Holocauste soit le nouvel axe monumental de la ville, le début et la fin du grand voyage multiculturel, chrétien, musulman et juif de Thessalonique.
La Place de la Liberté est une zone de démocratie où, en 1908, tous les Thessaloniciens, Musulmans, Chrétiens et Juifs ont célébré la proclamation de la constitution ottomane. C’est aussi un lieu de déracinement et de refuge, le point de départ des musulmans Thessaloniciens en 1922-1923 et de l’arrivée des chrétiens, de l’Asie mineure et de la mer Pontique. Et enfin, c’est un lieu de martyre, où le sabbat noir du 9 juillet 1943, les Allemands aux yeux des chrétiens grecs ont humilié publiquement 9.000 hommes juifs.
C’est un endroit difficile cette place. Il nous rappelle que l’Holocauste à Thessalonique est le chaînon le plus lourd dans une longue chaîne de violence et d’indignation. Elle nous rappelle que ses Juifs étaient une partie inséparable d’une mosaïque colorée, que «Jérusalem des Balkans» était en même temps la «Babel de la Méditerranée». Nous voulons que
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la Place de la Liberté soit un point où les souvenirs difficiles et traumatisants de tous les habitants de cette ville ne se concurrenceront pas, mais ils coexisteront harmonieusement: ils parleront fort et encourageront une culture de coexistence et de respect mutuel. Le passé sera un tremplin pour un avenir meilleur. La nouvelle place de la Liberté symbolisera la fierté de tous les Thessaloniciens pour leur ville, passée, présente et future.
À quelques centaines de mètres, le Musée de l’Holocauste symbolisera notre honte. Pour ce qui a eu lieu, pour ce que nous avons fait, et surtout pour ce que nous ne pouvions pas ou ne voulions pas faire, les autochtones et les réfugiés, à droite et à gauche pendant et après la guerre. Le musée est une dette de la ville mais aussi un pari personnel pour moi. C’est une dette envers ses Juifs, comme des Thessaloniciens, des Grecs et des Sépharades. Le musée transcende la ville et la Grèce et donne à nouveau à Thessalonique son rôle de métropole des Juifs sépharades en Méditerranée. Il aspire à raconter l’histoire inconnue de l’Holocauste des Juifs de la Méditerranée et des Balkans, les Juifs séfarades de Thessalonique et de Corfou, Chania et Patras, mais aussi Belgrade, Skopje, Monastir, Sarajevo, Trieste et Livourne. Elle espère transformer la page déchirée de Buena Sarapati en connaissance historique. Mettre en évidence un aspect de l’Holocauste souvent négligé en raison de l’importance accordée à l’Europe centrale et orientale et faire ainsi de Thessalonique un lieu de mémoire ainsi qu’un centre de recherche et d’étude de rayonnement international. Enfin, il espère devenir un lieu où les citoyens de toute la terre, en particulier les jeunes, apprendront les effets des violations des droits de l’homme.
Beaucoup de gens nous demandent pourquoi. Pourquoi cette insistance tardive sur l’histoire et la mémoire des Juifs ? La dévastation du monument de l’Holocauste dimanche dernier, et l’incendie criminel de la résidence historique d’une juive et musulmane de Thessalonique, suffiraient en réponse. Mais, personnellement, je préfère répondre en paraphrasant Primo Levi. « Ici, il n’y a pas pourquoi », répondit le garde allemand dès que Lévi arriva à Auschwitz. « Ici, ils n’existent pas de pourquoi» je pourrais aussi répondre à ceux qui s’interrogent à propos de mon insistance. L’Holocauste des Juifs d’Europe, l’Holocauste de nos propres Juifs, met à l’épreuve les limites de la raison. Et la seule façon de l’affronter est d’accepter qu’il fera toujours partie de ce que nous sommes comme des Thessaloniciens, des Grecs et des Européens : une page déchirée écrite dans une écriture inconnue, une vérité qui attend toujours son décryptage. »
Source : iefimerida.gr
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