Page 195 - Mémoires et Traditions
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  DEUX ENFANTS PENDANT L’OCCUPATION
                      Simon et Guy Benayoun.
Nés respectivement en Algérie en 1937 et 1934, Guy et Simon Benayoun sont issus d’une famille de sept enfants (Paulette, Abraham, Yvette, Jacques, Gilbert, Simon puis Guy). Joseph Benayoun, leur père, est fermier. Il quitte l’Algérie lorsque la crise agricole sévit. Cet ancien combattant de la Grande Guerre dans un régiment de zouaves, sept fois décoré et blessé, rejoint Paris pour y trouver du travail fin 1937.
En mars 1938, le père a trouvé un emploi dans une bijouterie. Il fait alors venir sa famille et l’installe rue Popincourt dans le 11e arrondissement, un quartier fréquenté par les Juifs ottomans. Traditionaliste, il assiste aux offices de la rue de la Roquette. Lorsque la « drôle de guerre » éclate, par patriotisme, il se porte volontaire et, malgré ses blessures, est engagé à l’âge de 49 ans pour protéger la population civile. Il est affecté à la cartoucherie de Vincennes. Comme de nombreuses familles, la sienne est évacuée et envoyée à Sury-en-Vaux près de Sancerre dans le Cher.
Philippe Landau : Votre famille est restée plus de six mois en province. Qu’est-ce qui a pu motiver son retour ?
Simon Benayoun : À l’automne 1940, l’armistice signé, notre mère regagne Paris car elle voulait retrouver son mari. Nous-mêmes avions hâte de le revoir mais déjà, les Allemands interdisaient le retour des Parisiens. Notre train a ainsi été arrêté et nous avons été dirigés vers un camp à Mourmelon. À l’entrée, notre mère a eu la présence d’esprit de dire qu’elle avait perdu nos papiers d’identité. S’appelant Benayoun, nous pouvions être des musulmans mais avec notre frère Abraham, l’affaire se compliquait. Nous sommes restés dans ce camp près de deux mois. Lors du départ, un petit miracle s’est alors produit. Notre frère Jacques avait une énorme plaie au genou. Aussitôt, notre mère craint le refoulement pour nous tous mais voilà que le soldat nous envoie à l’infirmerie allemande
pour le faire soigner. Jacques, qui était alors âgé de 11 ans, est présenté à un médecin autrichien qui l’ausculte et décide de lui enlever le pus. L’incision est douloureuse mais notre frère ne dit rien et reste stoïque. Le médecin est étonné par son courage et, devant notre mère, dit : « C’est un bon Français, un bon soldat. » Impressionné par son courage, il demande à ma mère où elle se rend et lui signe une autorisation pour rejoindre Paris.
Ph.L : Vous arrivez donc à Paris au cours de l’été 1940. Comment se passe votre vie au début de l’Occupation ?
S.B : En effet, nous sommes à Paris dès le mois d’août et c’est la joie lorsque nous revoyons notre père d’autant plus que nous allons déménager, rue de la Roquette. Nous reprenons nos habitudes : une vie rythmée par l’école, la vie familiale et la synagogue. Bien sûr, avec nos yeux d’enfants, nous voyons bien la présence allemande mais nous n’avons pas vraiment conscience du danger qui va bientôt nous guetter. D’ailleurs, nos parents parlent peu de la défaite et de ses conséquences.
G.B : Vous savez, quand vous êtes petit, vous ne percevez pas la gravité des choses comme les adultes. Nos préoccupations étaient le jeu, nos frères et sœurs et, bien sûr, nos parents.
Ph.L : Pourtant, en octobre 1940, et déjà depuis l’ordonnance allemande de septembre, les Juifs ont l’obligation d’être recensés en zone occupée. Comment cette mesure est-elle ressentie par vos parents ?
S.B : Cruellement car notre père était profondément patriote et pour lui, le maréchal Pétain, comme pour tant de Français, incarnait le vainqueur de Verdun. Il a sans doute été très déçu. Obligé de se faire recenser, il va le faire en mentionnant ses décorations et ses blessures. D’ailleurs, je crois bien que tout au long de l’Occupation, il est resté pétainiste. Pour lui, la France ne pouvait pas trahir. Le régime de Vichy avait été obligé d’appliquer les lois allemandes. Bien sûr, il se trompait.
Ph.L : Mais comment alors avez-vous vécu durant cette période ?
G.B : Dans notre malheur, nous avons eu de la chance. Notre père avait eu l’occasion de racheter des lots de bas à faible prix, plusieurs caisses. Il a pu ainsi écouler sa marchandise tout au long de la guerre et nous nourrir. Le loyer étant peu élevé, il faut dire que nous vivions dans un petit appartement vétuste, sans salle de bain et sans toilettes comme il en existait dans de nombreux logements de ce quartier populaire ;
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