Page 197 - Mémoires et Traditions
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                  Deux enfants pendant l’Occupation
  le danger comme on dit. L’insécurité régnait partout et les Allemands n’intervenaient pas dans les lieux de culte. Dans la synagogue, nous nous étions très vite adaptés au rite portugais qui n’est pas si éloigné de la tradition algérienne. Avec un rabbin d’origine turque nommé Behar, notre père faisait régulièrement la prière. Bien sûr, nous allions vite car nous étions toujours méfiants. D’ailleurs, une fois, nous avons craint pour nous. C’était pour Yom Kippour 1943. Des Allemands sont entrés dans le temple vers 16 heures. Que venaient-ils faire ? Nous ne le saurons jamais mais à ce moment précis, nous nous sommes tous enfuis par le petit passage qui se trouve à côté de l’arche sainte et qui débouche sur la rue La Fayette. La synagogue a été fermée un certain temps puis a été ouverte à nouveau. Nous y étions tout le temps mais Je me souviens qu’un samedi, quand Paris se libérait et que les fusillades éclataient, nous avons préféré rebrousser chemin.
Ph.L : Comment expliquez-vous qu’aucun attentat ne se soit produit à l’encontre du temple Buffault alors que plusieurs synagogues parisiennes subissaient des dommages en 1941 ?
S.B : La raison en est bien simple. Avec le garage allemand qui se trouvait à côté de la synagogue, un attentat aurait pu provoquer une grave explosion avec le dépôt d’essence. Les terroristes ne pouvaient pas prendre ce risque. Les Allemands protégeaient leurs lieux. Ainsi, malgré eux, par leur présence, ils empêchaient toute escalade dans la violence.
Ph.L : Vous avez raison, d’autant plus que ces attentats étaient le fait d’activistes français. Mais revenons à l’étoile jaune. Comment vous, avez-vous vécu cela ?
S.B : Comme un traumatisme ! Une fois, notre frère qui était plus âgé que nous, est allé à l’école et s’est battu avec l’un de ses camarades. Il s’était moqué de lui et l’avait injurié. Mais c’est un cas unique. Quant à nous deux, nous n’avons jamais eu une réflexion. Pourtant, nous avions honte de la porter, surtout dans la rue. En fait, nous étions dénoncés constamment par cette marque et le plus dur, était d’affronter le regard des passants. Quand nous étions avec notre mère, elle nous demandait de baisser les yeux. Nous ne comprenions toujours pas son comportement mais nous l’acceptions. Lorsque nous passions devant des Allemands, là, la peur nous surprenait car nous étions d’un seul coup mis à nu. A ce moment précis, j’aurais voulu avoir un nom et un prénom bien français.
Ph.L : A l’âge de 8 ans, ce devait être en effet une épreuve terrible pour vous. Votre frère allait par ailleurs devenir une victime de cette étoile.
S.B : Hélas, oui. Gilbert, qui a 19 ans à l’époque, exerçait le métier de typographe.
Il revenait un jour de son travail et portait son manteau sur son étoile jaune. Pour lui, elle était une marque d’infamie. Dans la rue, des inspecteurs français en civil bloquent subitement les issues et font un contrôle d’identité. Le voici les menottes aux poings sous prétexte que son étoile n’était pas visible. Tous les prétextes étaient bons pour arrêter les Juifs. Il est alors envoyé au camp de Drancy durant trois mois, jusqu’en février 1943. Notre père décide d’intervenir auprès des autorités allemandes pour le faire libérer et va voir un responsable de la Gestapo qui lui répond négativement. Il est parti en février 1943 avec le convoi n° 48...
Ph.L : Votre sœur Paulette va connaître elle aussi un sort tragique, n’est-ce pas ?
G.B : Malheureusement, elle fut arrêtée le 17 mai 1944 car elle n’avait pas sa carte d’identité sur elle. Selon des sources sûres, elle avait été dénoncée par un épicier qui n’avait pas pu obtenir ses faveurs. Elle avait 23 ans quand elle a été conduite au camp de Drancy. Elle était belle et joyeuse. Elle est partie dans le convoi n° 75 du 30 mai et n’est
jamais revenue. Pour nos parents
cela a été un drame, surtout pour
notre mère. Pendant des années,
elle a attendu son retour, au moins
jusqu’en 1952. Elle espérait...
Lorsque nous avons appris que
l’Union soviétique n’avait plus
de déportés juifs alors nous avons
compris. Il fallait se résoudre et
accepter l’horrible réalité. Pour
nous, notre mère est morte de
chagrin. L’espoir qui la faisait vivre
l’a abandonnée. Elle est décédée à
l’âge de 53 ans.
Ph.L : Avec la Libération de Paris le 25 août 1944, votre famille a du cependant être soulagée ?
G.B : Oui mais la famille
n’était pas au complet pour ce
moment de bonheur. Pourtant, nous
nous sentions libres et heureux.
Nous pouvions à nouveau marcher normalement dans les rues, sans
avoir peur ni honte. Nous ne
pouvons pas oublier cet instant
historique. D’ailleurs, cet enthousiasme était partagé par les fidèles du temple Buffault. Pour Yom Kippour 1944, c’était l’allégresse. Comme par miracle, la synagogue était pleine malgré les deuils qui pouvaient se lire sur les visages mais la vie était de nouveau au rendez-vous...
S.B : La même année, les responsables du Temple ont décidé d’honorer notre père pour sa fidélité et pour son courage. Il a ainsi siégé durant un an aux côtés des membres du conseil d’administration de la synagogue.
Joseph Benayoun.
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