Page 25 - Mémoires et Traditions
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                  La résistance s’organise
  méfiants lorsque le Consistoire de Paris envisage la construction d’une synagogue commune aux deux rites en 1865. Dans sa bienveillance à l’égard des cultes, le régime impérial fournit deux terrains au Consistoire de Paris et veut soutenir l’édification des temples. L’institution consistoriale prévoit une monumentale synagogue pour tous les israélites de la capitale et les Ashkénazes acceptent l’idée d’une fusion. Les Séfarades sont désormais réticents car ils tiennent à conserver leur indépendance et surtout à ne pas appartenir à une commission mixte où ils seraient minoritaires. Quelques- uns se montrent pourtant favorables à la fusion tels Benedict Allegri, Téléphe Astruc et Victor Monteaux mais de nombreux fidèles de la rue Lamartine s’opposent.
Prosper Lunel explique les raisons du refus : « Le culte, c’est-à-dire le rite Séphardi comme le rite Aschkenasi, est, pour les israélites qui les suivent par tradition, une impérieuse nécessité de la vie morale et spirituelle. (...) Le rite portugais attache peut-être plus que le rite allemand, et cela parce qu’il a un cérémonial, des coutumes, des usages particuliers dont ceux qui le suivent se sont toujours occupés avec amour et se les ont transmis avec vénération ; de là leur obstination et leur ténacité à les maintenir48. » Le projet, mis en suspens pendant la guerre franco-prussienne, est finalement abandonné lorsqu’au printemps 1874 les travaux pour la grande synagogue sont en voie d’achèvement. Le temple de la rue de la Victoire est d’ailleurs
inauguré à l’automne. Au nombre de 2 000, les Séfarades, à la fois par crainte d’être contraints à rejoindre la monumentale synagogue et par l’expiration du bail de leur temple, décident de trouver un nouvel espace. Sous l’impulsion du conseil d’administration réorganisé en mars 1874 avec Adolphe Crémieux, Lazare Bloche, Prosper Lunel et Alfred Paz, la Société Civile du Temple israélite suivant le rite Sephardi est fondée. Les objectifs premiers sont de réunir des fonds pour construire un autre temple et surtout pour garantir la pérennité du culte hispano-espagnol. Les administrateurs ont conscience que leurs traditions risquent de disparaître suite à l’indifférence religieuse, aux unions mixtes et face à la majorité ashkénaze. Le 16 mai, la Société Civile tient une grande assemblée en présence de 150 personnes. Tandis que Téléphe Astruc affirme : « Nous tenons à nos traditions, à nos chants, à notre rituel. », Prosper Lunel s’écrie : « Pourquoi venir nous proposer aujourd’hui de prier autrement que ne le faisaient nos pères ? Pourquoi froisser nos sentiments et nos habitudes religieuses49? » La majorité des participants confirme le refus d’une fusion et se prononce pour l’édification d’un temple plus spacieux. Le lendemain, les responsables envoient leur démission au Consistoire de Paris, estimant qu’ils sont investis d’une louable mission. Déçus, les membres de l’institution reconnaissent désormais que « la communauté de rite portugais entre dans une nouvelle phase de son existence50. »
48 - L’Univers israélite, 1865, p. 584-585.
49 - L’Univers israélite, 1874, p. 587.
50 - ACIP, Procès-verbaux, registre AA.6
(mai 1874 - novembre 1881), séance du
10 juin 1874.
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Liste des premiers souscripteurs pour l’édification du temple.
 























































































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