Page 28 - Mémoires et Traditions
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                    LA SOCIÉTÉ CIVILE ET LE TEMPLE BUFFAULT
La Société Civile avise aussitôt le Consistoire de Paris qu’elle va se procurer les ressources nécessaires pour édifier un temple consacré au service du rite hispano-portugais. Elle lance aussitôt un emprunt de 400 000 francs au moyen d’une émission d’obligations à 100 francs. Près de 100 000 francs sont réunis grâce à d’importants souscripteurs comme Alphonse Lange, Joseph Astruc et une vingtaine d’hommes d’affaires. Tous sont soucieux de « conserver intacts les usages, prières et chants traditionnels, dépôts sacrés de nos Pères51. » Le grand rabbin de Belgique, Elie Aristide Astruc se rend à Paris pour la sainte cause et obtient un don de 40 000 francs de la part de Cécile Furtado-Heine et une participation financière du comte Abraham de Camondo.
Cécile Furtado-Heine (1821 - 1896).
Par la suite, d’autres israélites fortunés soutiennent l’ambitieux projet (Emile Rodrigues Péreire, Salvador Pontremoli, Eugène et Édouard Tivoly) tandis que des souscriptions affluent du bassin méditerranéen. Le chevalier Haï Sebag de Tunis verse 5 000 francs à son ami marseillais Bergel pour l’édification du temple. En juin 1875, Téléphe Astruc est fier d’annoncer que 255 000 francs ont été recueillis. Un mois plus tard, la somme de 300 000 francs est dépassée. Le succès de l’entreprise est inespéré. Indépendamment du Consistoire, la Société Civile poursuit sa quête tandis que son conseil d’administration, composé de banquiers (Lazare Bloche, Alfred Paz), de rentiers (Moïse Léon, Prosper Lunel), de négociants et d’un député
(Adolphe Crémieux), dépose les statuts devant les notaires Fould et Rafin en mai. Afin de parer à d’éventuels bouleversements ultérieurs, l’article 15 mentionne que « le conseil pourra s’entendre avec le Consistoire du département de la Seine pour lui céder la propriété du temple. » Mais il a soin de préciser que l’institution « n’en pourra pas changer la destination, c’est-à-dire de le consacrer à perpétuité à la célébration du culte israélite suivant le Rite espagnol Portugais dit Séphardi. » La recherche d’un terrain peut alors commencer. Juste à côté du temple Lamartine, l’Assistance publique met en vente un vaste terrain situé rue Buffault, du nom d’un échevin sous Louis XVI. La somme pour acquérir le lieu est élevée soit 245 000 francs alors que la Société Civile n’a que 300 000 francs dans ses caisses. Comment procéder aux travaux pour la construction du futur temple ? C’est alors qu’intervient le mécène Daniel Iffla Osiris52. Ce Bordelais, installé à Paris au début de la Monarchie de Juillet, appartient à l’étroit milieu financier portugais qui réunit Moïse Millaud, Charles Monteaux, Jules Mirès et Félix Solar. Tous fréquentent le temple de la rue Lamartine. Osiris est sans doute démarché par son ami Prosper Lunel car il est l’un des rares Séfarades à être très fortuné grâce à des spéculations boursières et à être encore attaché à la tradition. Au mois de juillet 1876, il fait une offre à la Société Civile. Il s’engage à verser 200 000 francs pour l’édification du temple mais impose certaines conditions. Le lieu de culte doit être réservé à perpétuité au rite hispano-portugais et le rituel sera identique à celui de Bordeaux. Les administrateurs acceptent bien évidemment ses exigences d’autant plus qu’elles ne contredisent pas leurs objectifs. Néanmoins, Osiris tient à être informé de la progression et des frais des travaux. De plus, il entend désigner un administrateur qui le représentera au sein de la Société Civile53. À l’initiative d’Adolphe Crémieux, les Portugais tiennent une réunion dans une salle du Grand Orient de France en novembre54. Le doyen de l’assemblée, Benedict Allegri, présente l’offre d’Osiris au public. À l’unanimité, sa proposition est acceptée. Fort de son prestige, Osiris impose aussi l’architecte : Stanislas Ferrand qui aura pour assistant Albert Leroy de Bonneville.
Ce dernier achèvera les décorations du temple. La communauté retiendra particulièrement son œuvre. Nous verrons par la suite pour quelles raisons. Les travaux débutent en août 1876 et s’achèvent un an plus tard. La construction est rapide car Ferrand utilise des matériaux économiques. Pourtant, le coût reste élevé soit environ 600 000 francs. D’inspiration romane, le temple contient plus de 800 places dont 250 pour les femmes.
Édouard Tivoly avec sa famille, vers 1867.
  51 - ACIP, Correspondance, boîte B.44 (1874–1875), lettre du 18 janvier 1875. 52 - Consulter Dominique Jarrassé, Osiris. Mécène
juif et nationaliste français, Kremlin-Bicêtre, Editions Esthétiques du divers, 2008. 53 - L’Univers israélite, 1876, p. 715-717.
54 -Les Archives israélites, 1876, p 173
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