Page 40 - Mémoires et Traditions
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                   Les administrateurs du temple sont eux aussi partagés sur la question. Quelques-uns (René Guastalla et Fernand Lisbonne) appartiennent à une organisation juive proche des Croix-de-Feu, l’Union patriotique des Français israélites, qui lutte contre le Front populaire et l’immigration. Ainsi, pendant une réunion, un administrateur considère qu’il y a « trop souvent à la porte du temple, des incidents provoqués par des mendiants professionnels et des étrangers qui n’ont pas de cartes de travailleurs. » Pour mieux conserver l’identité française et portugaise que défendent les notables du temple, la commission administrative refuse la représentation des Juifs algériens au sein de leurs assemblées75 !
Malgré les accords de Munich, les Juifs de France savent que la guerre est imminente. Au temple Buffault, le rabbin Paul Bauer succède à Mathieu Wolff et tente de ranimer la conscience patriotique de ses coreligionnaires le 24 mai 1939 pour le cent cinquantième anniversaire de la Révolution française : « N’oublions pas que celui qui est capable de trahir sa foi est aussi capable de trahir sa patrie. Il n’y a pas d’antagonisme entre les titres de Juif et de Français : L’idéal du Judaïsme et l’idéal de la France se confondent souvent et ne s’opposent jamais76. »
Avec courage et détermination, les Juifs participent à la « drôle de guerre », convaincus que la France est le dernier rempart contre le nazisme et l’antisémitisme. Mobilisé en tant qu’aumônier, le rabbin Bauer rejoint son unité.
Face à l’avancée allemande, plus de la moitié des 200 000 israélites de la région parisienne ont déjà fui et traversé la Loire. En cet été 1940, le temple Buffault est à l’image de la capitale : en pleine désolation. Les offices sont ternes : nul rabbin et point de ministre officiant. Il faut attendre le retour du grand rabbin de Paris Julien Weill en août pour que Mathieu Wolff soit de nouveau affecté au temple. Il remplace le rabbin Bauer qui, démobilisé, s’occupe désormais de la communauté de Pau. À l’approche des fêtes d’automne, le Consistoire de Paris décide d’assurer les offices dans la capitale entièrement contrôlée par l’ennemi. Bien avant les mesures discriminatoires du régime de Vichy, une pression antisémite se fait sentir dans la ville. Edmond-Maurice Lévy, bibliothécaire en chef du Conservatoire des arts et métiers, est déjà l’une de ces victimes comme le note le journaliste Jacques Biélinky : « ...il fut obligé de déménager en quarante-huit heures les meubles qu’il possédait dans le bâtiment de la bibliothèque77. »
Une semaine plus tard, le 27 septembre 1940, l’ordonnance allemande définit la qualité de juif dans l’article 1 : « Sont reconnus comme juifs ceux qui appartiennent ou appartenaient à la religion juive, ou qui ont plus de deux grands-parents juifs... » L’article 3 exige leur recensement. Malgré les craintes suscitées par de telles mesures, les fidèles affluent au temple pendant les fêtes, notamment le soir de Yom Kippour : « ...énormément de monde. Très nombreux Algériens. (...) Dehors, à côté de la synagogue, il y a un garage occupé par les Allemands et devant l’entrée du temple, il y avait quelques gros camions avec des soldats, provoquant quelque émoi chez ceux qui se dirigeaient vers la synagogue. Mais l’ordre là aussi fut respecté par tout le monde78 . » Les Allemands sont en effet omniprésents rue Buffault. Deux hôtels sont réquisitionnés pour héberger la gendarmerie tandis qu’un garage est occupé par des collaborateurs français chargés du ravitaillement et de la récupération. Il s’agit de l’un des premiers entrepôts de marché noir au service de l’ennemi79.
L’année suivante, Biélinky constate que l’assistance n’est pas nombreuse. Commandités par les autorités allemandes et réalisés par des activistes français, plusieurs attentats contre des lieux de culte ont été perpétués dans la nuit du 1er au 2 octobre 1941. Cinq édifices (temples Copernic, Nazareth, Pavée, Saint- Isaure et Victoire) ont subi des dégâts plus ou moins importants. Le temple Buffault a échappé au vandalisme puisque les nazis se trouvaient à côté. Les nouvelles ordonnances allemandes et surtout les deux lois françaises portant statut des Juifs ont eu raison des dernières illusions. Lentement, l’étau se referme sur les israélites des deux zones d’autant plus que l’Etat français du maréchal Pétain vient de créer le Commissariat général aux questions juives (29 mars 1941) qui doit préparer et proposer toutes les mesures législatives relatives à l’état des Juifs. Officiellement, en vertu du respect de la loi de Séparation de 1905 et des ordonnances allemandes qui n’interdisent pas la pratique du judaïsme, le Consistoire de Paris maintient l’ouverture des principales synagogues malgré les risques encourus80 . Aussi, le temple Buffault fonctionne toujours même si les fidèles désertent le lieu. Au terme de maintes tractations, Jacques Helbronner qui préside le Consistoire central, obtient l’indépendance des associations cultuelles israélites de la part de Xavier Vallat, alors commissaire général aux questions juives.
75 - Archives du Temple Buffault, procès-verbal du 13 décembre 1938. 76 - Cent cinquantième anniversaire de la Révolution française, Discours prononcé
par le rabbin Paul Bauer, Paris, Imprimerie Beresniak, 1939, p. 7.
77 - Jacques Biélinky, Journal, 1940-1942, Paris, Cerf, 1992, p. 53.
78 - Ibid., p. 60.
79 - Cécile Desprairies, Paris dans la Collaboration, Paris, Seuil, 2009, p. 304. 80 - Philippe Landau,
« Vivre la Thora en France métropolitaine sous l’Occupation. », Revue d’histoire de la Shoah,
n° 169, mai – août 2000, p. 108-125.
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