Page 75 - Mémoires et Traditions
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                  Osiris et la défense de l’identité judéo-portugaise
  Une forme de continuité est ainsi assurée et l’unité séfarade réaffirmée. Or, relatant l’ouverture de la nouvelle synagogue de Bordeaux en 1882, une revue précise que « l’architecture du temple rappelle celle de la synagogue de la rue Buffault, à Paris12. » Il y a donc circulation du modèle entre Bordeaux et Paris. Quant à Osiris, conjuguant patriotisme et ostentation, lorsqu’il décide de doter la ville de Lausanne d’une synagogue, il impose son modèle : il lègue 50 000 francs « pour élever un temple israélite dont on s’inspirera pour sa construction sur celui que j’ai fait édifier à Paris rue Buffault. » Les architectes, Charles Bonjour et Oscar Ouveley, venus la visiter, respecteront ce vœu dans l’édifice achevé en novembre 1910.
Plus grandiose eût été enfin le projet qu’Osiris caressa, de faire construire une grande synagogue à Jérusalem – est-ce là une des raisons qui ont accrédité l’idée qu’il voulait reconstruire le Temple ? – sur le modèle de Buffault. Osiris l’a rêvé en ces termes : « Je donne et lègue au Consistoire Central des Israélites de France la somme de Deux Millions, à charge par lui de faire élever, dans la ville de Jérusalem, sur un terrain acquis à cet effet un temple qui sera consacré au rite Séphardi. Ce temple devra être d’architecture romaine (sic) et rappeler par son style, comme par ses dispositions générales, celui que j’ai fait construire rue Buffault à Paris13.»
Pour couronner son œuvre, il envisageait d’y voir officier un grand rabbin français... La diffusion du temple de la rue Buffault comme modèle fut indéniablement favorisée par sa publication dans les revues d’architecture, sous
formes de planches : ainsi, dès 1878, deux recueils en donnent les plans. Les accompagnant d’une notice fouillée, Le Moniteur des architectes (5e volume, 1878) publient deux planches gravées, plan du rez-de-chaussée et façade. Quant au Recueil d’architecture de Wulliam et Farge, dans sa rubrique « architecture religieuse, 3e section, cultes divers », la même année, il offre aux architectes trois planches de grand format, la façade, le plan du rez-de-chaussée et le plan de l’étage. Ces documents forment la meilleure attestation de l’originalité de l’aménagement intérieur des synagogues de tradition portugaise. Peut-être est-ce à travers ces planches que l’architecte de la synagogue de la place Belcourt à Alger a puisé son inspiration ? Il reprend le fronton curviligne percé d’oculi, les arcs concentriques, la rose et jusqu’aux pyramidions latéraux.
Néanmoins, en dehors de Lausanne, Osiris n’a pas vraiment imposé le modèle de Buffault dans les communautés qu’il voulut doter d’une synagogue ; il souhaitait y consacrer des sommes trop modestes pour cela. Il avait en vue une trentaine de synagogues, mais ne put en réaliser que quatre dans le cadre de ce projet tardif, en partie de manière posthume : Bruyères (1903), Vincennes et Tours (1908), Tunis (1937). En revanche, s’il ne souhaita pas qu’elles ressemblent à celle de la rue Buffault, dont il était si fier, il aurait voulu qu’elles fussent toutes dotées de plaques commémoratives, l’une à sa propre mémoire, l’autre aux « illustres enfants d’Israël. » Ce vœu n’a été respecté qu’à Bruyères (elle est construite de son vivant) et à Lausanne.
12 - La Semaine des Constructeurs, 6e année, n° 12, 16 septembre 1882, p. 142.
13 - Testament d’Osiris, août 1898, f° 36-37. Le mot « romaine » surprend ; voulait-il dire « romane » ?
   Plaque apposée dans la synagogue de Lausanne.
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