Page 16 - Bulletin n°45
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Le lait d’ABEL et le miel de CAÏN
par Jean-Pierre William BANSARD
                            Entre l’offrande des «fruits du sol» de Caïn et celle d’ Abel, D... choisit la seconde, celle du cadet, à savoir «les premiers nés de son petit bétail avec leur graisse». Car Caïn, l’aîné, est «cultivateur du sol». Abel, «pasteur de petit bétail», vit donc de la traite, mais aussi de la bête, donc de sang versé; il mourra de son propre sang, versé lui aussi. Mais Caïn, le coupable, en donnant libre cours à sa jalousie criminelle, s’est taché les mains de sang. Abel, le berger, ne saignait parfois pourtant que les bêtes, et c’est lui, Caïn, à la main verte, qui va saigner son frère humain !
Rabbi Yossef Albo écrit que, pour Caïn, les animaux étant les égaux des humains, il s’interdisait de les tuer.... S’il est donc amené à tuer son frère, celui-ci doit l’y avoir contraint par sa manière d’être: éleveur, il a donc saigné un animal de plus pour faire son offrande; selon Caïn, Abel aurait pu tout aussi bien sacrifier un être humain!... C’est alors un malfaisant verseur de sang qui plaît à D... . Si la jalousie envers son frère a sans doute libéré la conscience de Caïn pour méditer une punition, le désir d’ une vengeance proportionnée, par identification du sang animal au sang humain, a armé son bras... Une telle interprétation du geste de Caïn est plausible, en ces temps anciens, où priorité est donnée, par un aîné, à la terre sur l’animal, à cause, d’une part, de la dépendance alimentaire de celui-ci à celle-là, d’autre part, du sentiment de puissance offert par le droit d’aînesse.
Du reste, D... , curieusement, ne punit pas Caïn, mais le tiendra à l’oeil, lui et sa descendance; Il s’oppose même à ce que quiconque venge Abel, - pourtant Son élu ... Comme s’il y avait deux réalités légitimes sur la terre, celle de Caïn et celle d’Abel, celle du sédentaire qui attend la germination et celle du transhumant qui va où une pâture l’attend, celle du voyageur du temps et celle du voyageur de l’espace.
D... rejette Caïn: «Maudit sois-tu de par le sol qui a ouvert sa bouche pour prendre de ta main le sang de ton frère! Quand tu cultiveras le sol, celui-ci ne continuera plus de te donner sa force. Tu seras
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fugitif et fuyard sur la terre» (Genèse IV, 12). La terre, transforme donc Caïn en un type régressif de l’humanité, une sorte de nomade-agriculteur, qui n’a jamais le temps de récolter ce qu’il a semé, ni de labourer la terre moissonnée.
Un descendant de Caïn, d’une branche au 6e degré, Yabal, «fut le père de ceux qui habitent sous la tente et ont des troupeaux» (Genèse IV, 20). Et de l’autre branche au 6e degré, naît Tubal-Caïn «qui aiguise tout taillant de cuivre et de fer» (22). Voici que la famille de Caïn annexe la fonction d’Abel, le 1er fils de Caïn étant bâtisseur de ville, fonction qui s’écartait déjà du champ du cultivateur.
En effet, c’est vers la civilisation que D... oriente le monde; dès le début de la Genèse, nous savons que D... a créé le monde pour que l’humain le travaille, l’accomplisse par le pouvoir de la connaissance qu’il en acquiert.
 Caïn tuant Abel, réalisé par Daniele Crespi (1618-1620)
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