Page 18 - Bulletin n°45
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Le lait d’ABEL et le miel de CAIN
                           simple rançon du temps qui passe. Le sédentaire et le nomade: l’un -erets- puise ses racines dans la terre, l’autre -ratson- les puise dans sa volonté de vie. D... n’a- t-Il pas déclaré à propos de Erets Israel : «Vous serez des étrangers et des résidents avec moi» (Lévitique XXV, 23), «Je suis avec vous étranger et résident» ? (Genèse XIII, 4) Est-ce à dire étranger, comme Abel, et résident, comme Caïn, - à condition qu’ils soient sublimés en lait et en miel ?
Mais, il ne faut pas se méprendre sur l’apparente prospérité que donnent à entendre le lait et le miel. Isaïe (VII, 22) met en garde, lors des ravages des territoires par les Assyriens, que «c’est du beurre (par suite d’abondance de production de lait, seule nourriture) et du miel que mangera quiconque subsistera au milieu du pays». Mais ce réel état de subtil équilibre alimentaire est nécessaire à l’enfant : «...tu lui donneras pour nom Emmanuel. Il mangera du beurre et du miel jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien»(VII, 14-15). Et ce choix a été posé à Caïn comme à Abel.
(1): Cette expression où lait et miel sont accouplés apparait à plusieurs reprises dans la Thora, un peu comme un slogan publicitaire toujours accolé à la Terre promise, mais un slogan provocateur, car les deux termes ont posé question à la cacherout: le lait est traité par les systèmes digestif et circulatoire de l’organisme, tout comme le sang, donc à priori non casher ; quant au miel d’abeille, non casher pour la Thora, interdit comme offrande au Temple, mais autorisé dans les prémices, il est devenu casher pour le Talmud, quand on a compris qu’il n’est « ni métabolisé ni partie intégrante du corps de l’abeille ».
(2): Dans la mythologie grecque, Aristée, berger/ apiculteur, ayant poursuivi de ses assiduités Eurydice, le jour de ses noces avec Orphée, provoque sa mort accidentelle, suite à une morsure de serpent. Les mânes de la jeune fille détruisent les ruches d’Aristée . Il lui est conseillé, pour faire cesser cette malédiction, de faire sacrifice de taureaux. L’immolation exécutée,
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il voit s’échapper des entrailles des bêtes des nuées d’abeilles propres à reconstituer ses ruches. Après cet épisode, il se marie... Ce mythe fait un pont du sang au miel, car le sang répandu du sacrifice engendre des abeilles, et l’apparition de celles-ci marque pour Aristée le passage d’une vie intempérante à une vie matrimoniale : le lait pour le nouveau-né est proche. Il y a un différence dans le contenu des deux histoires, mais les éléments sont similaires : berger, ruches de miel, sang du sacrifice, venue d’abeilles, mariage comme promesse de lait.
Plus proche du mythe grec est l’histoire de Samson (Juges XIV), grand Juge, mais nazir kamikaze par désespérance. Il dit à ses père et mère avoir trouvé une femme parmi les philistins, ennemis occupants. Ses parents lui reprochent ce choix, parce qu’ils ne savent pas que tel est le dessein de D... . Un lion menaçant venant vers lui, Samson le tue, puis s’en va à la rencontre de sa femme; toutefois, il se détourne de sa route pour revoir le cadavre du lion dont les entrailles laissent apparaître des abeilles avec leur miel - qu’il mange et dont il fait profiter ses parents. Alors, son père va chercher cette femme pour son fils. Celle-ci, trompant Samson avec son propre ami, il se venge sur les philistins. Puis, il rencontre une prostituée qui risque de lui coûter la vie; enfin, il s’attache à Dalila, espionne à la solde des philistins, à laquelle il avoue, par amour, que sa force d’exception réside dans ses cheveux. On connait la suite. L’issue est qu’à l’occasion d’un festin donné par les philistins en l’honneur de la divinité du froment, Dagon, Samson, chevelu, brise les deux colonnes qui soutiennent le temple et meurt en même temps que ses ennemis.
Ici, à la différence d’Aristée, Samson ne parvient pas à trouver la femme qui sera la mère des ses enfants. Dans l’écart du sang et du miel, il manque sans doute deux étapes (et non pas une seule, comme avec Aristée): le lait maternel pour stopper le sang (qui coule à flots dans ce chapitre), mais aussi le «lait»végétal, dont l’abeille fait son miel. En effet, point de femme en puissance d’être mère dans la population philistine, ni de froment qui ne soit aussi à la main des philistins. Cette carence privée, dont souffre Samson, retentit sur sa vie publique solaire (Shimshon) qu’elle emporte dans une destruction mortifère. Car les deux colonnes que Samson renverse sont celles, jumelles, qu’il n’a pu faire tenir pour lui-même: celle du lait venant du sang et celle du miel venant du «lait».
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