Page 5 - Bulletin n°45
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Lire Etienne de La Boétie
                     pour se libérer
La fête de Pâque est une fête de libération. Elle commémore, chacun le sait, une sortie de l’esclavage. Cette commémoration incite à lire ou relire un très ancien auteur français qui a particulièrement bien compris et expliqué ce qu’est la dépendance et son inverse la liberté. Il suggère même une manière de réaliser une libération personnelle et collective. Etienne de La Boëtie, puisque c’est de lui qu’il s’agit était l’ami et le compagnon littéraire de Montaigne, un autre grand philosophe et écrivain français. Révolutionnaire discret, La Boétie a inspiré beaucoup de psychologues et de spécialistes du travail que l’on peut faire sur soi pour sortir de ses drogues ou habitudes. Il a décrit dès le 16ème siècle la servitude volontaire comme le principal danger pour les individus et les peuples. Il est aujourd’hui encore intéressant de revenir à cette notion très actuelle de servitude volontaire.
La première constatation de La Boétie est que nous avons beaucoup d’habitudes, de dépendances, de contraintes qui nous entravent mais que nous protégeons. C’est vrai pour la vie personnelle comme pour la vie d’un groupe ou d’un pays. Au niveau international, l’actualité le confirme. On voit plus souvent des peuples accepter les contraintes que les remettre en question. La Boétie s’est demandé, avec ses outils intellectuels de l’époque, comment tant d’hommes, tant de bourgs, tant de nations, tant de villes supportent un tyran qui n’a de puissance que par la force qu’ils lui donnent. En effet, ceux qui nous asservissent ne peuvent continuer à le faire que parce que nous ne nous révoltons pas.
Le tyran, qu’il soit Pharaon d’Egypte ou dictateur, va contre l’aspiration à la liberté. On s’en libère en se rappelant que nous sommes libres par nature et asservis par erreur ou peur du changement. Tous les maîtres qui empêchent de vivre dénaturent la femme ou l’homme nés pour vivre librement. Pour La Boétie, l’un des mensonges des tyrans et Pharaons est de nous faire oublier à quel point nous avons des capacités de résistance et de libération. Ils font oublier ce qu’il y a en nous de rebelle et de libre. La servitude est contraire à notre nature. Une fois que l’on accepte cette formulation simple et tellement vraie, on remet à leur place les dépendances et les successeurs modernes du Pharaon. On s’aperçoit que la sortie d’Egypte est une manière de retrouver sa nature d’homme ou de femme libre.
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             Professeur Michel Lejoyeux
Cette compréhension de la libération est à la base du récit de la sortie d’Egypte. Une fois encore, les explications de La Boétie éclairent les textes classiques. La nature nous a créés et coulés au même moule pour nous montrer que nous sommes égaux et même frères. Si les princes – et les autres servitudes – arrivent au pouvoir par des moyens divers, leur manière de régner est toujours à peu près la même. Ils prétendent savoir mieux que nous ce dont nous avons besoin ou envie.
Cette servitude ne concerne pas seulement les royaumes égyptiens antiques. Elle menace aussi les régimes modernes et leurs dérives possibles. Ceux qui sont élus par le peuple le traitent comme un taureau à dompter. Ils les maltraitent comme leur proie, comme un troupeau d’esclaves qui leur appartient par nature. Reconnaître sa nature libre, ses vrais besoins et ses vraies envies, voilà donc la manière d’avancer vers une libération. Cette reconnaissance est ce que l’on se souhaite en espérant se libérer.
Laissons une dernière fois La Boétie parler de la libération qu’elle soit une sortie d’Egypte ou l’arrêt d’une habitude nocive. « Certains sont plus fiers et mieux inspirés que les autres. Ils sentent le poids du joug et ne peuvent s’empêcher de le secouer. Ils ne se soumettent jamais à la sujétion. Pour résister ils ont l’esprit clairvoyant. Ils ne se contentent pas de voir ce qui est à leurs pieds, sans regarder ni derrière, ni devant. » On a l’impression que La Boétie incite à se rappeler la sortie d’Egypte pour mieux se libérer. « Les esprits clairvoyants rappellent les choses passées pour juger plus sainement le présent et prévoir l’avenir. Même si la liberté était entièrement perdue et bannie de ce monde, ils l’y ramèneraient. La servitude ne pourra jamais les séduire. »
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