Page 18 - Mémoires et Traditions
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                    Malgré les nouveaux droits acquis, la commune de Paris se montre hostile à leur intégration politique même si pour David Silveyra, les Juifs « ont fourni des preuves de leur patriotisme. » Pourtant, près d’une centaine d’entre eux se sont enrôlés dans la Garde nationale parmi lesquels Raphaël Nonès, Moïse Pimentel et les frères Dacosta16. D’autres participent à la vie des clubs et sont inscrits dans les sections révolutionnaires. Mais ce n’est qu’en janvier 1791 qu’ils peuvent jouir pleinement de leurs droits civiques17. Conséquence des décrets émancipateurs, dès 1792, ils sont près d’un millier installés dans la cité dont 120 Portugais et 80 Avignonnais et Italiens. Ces apports humains répétés empêchent le déclin de la minorité séfarade car les Portugais sont de plus en plus nombreux à contracter des unions exogamiques. Sur 182 mariages célébrés entre 1793 et 1802, 31 sont certes conclus par des Séfarades mais 17 l’ont été avec des chrétiennes18. Les unions mixtes (55%) sont nettement plus élevées que chez les Allemands. Néanmoins, les pères tiennent à ce que leur fils soit circoncis. Sur les 159 circoncisions effectuées par le mohel Isaac Schweich à Paris entre avril 1789 et novembre 1801, on dénombre 9 opérations pratiquées sur des enfants d’origine séfarade dont 3 nés d’un couple mixte. Parfois, l’enfant souhaite être israélite ; tel est le cas pour Joseph Valéry qui se fait circoncire en décembre 1796 afin d’épouser Sarah Lévy. Isaac Schweich note : « Ayant dix- huit ans, (il) est venu me prier de le circoncire comme son père. (...) Il a souffert l’opération avec un courage étonnant19. »
La République à peine née, les Juifs doivent déjà retourner à la clandestinité. En 1793, le Comité de Salut Public prend des mesures exceptionnelles afin de sauver le régime face à la guerre et aux difficultés économiques. La loi des suspects concerne toute la population et les lieux de culte sont fermés. Si quelques israélites participent aux tribunaux révolutionnaires, la majorité s’abstient de tout militantisme. Des Juifs bordelais, proches des Girondins sont les premières victimes de la Terreur. Aaron Lopès et Abraham Furtado sont accusés d’être des agioteurs. Ailleurs, la politique de déchristianisation entraine la fermeture des synagogues et la confiscation des objets rituels. A Paris, les israélites subissent aussi la dictature et c’est ainsi qu’en novembre 1793, une députation de Portugais livre à la Convention montagnarde « les dépouilles du petit temple (celui de la rue des Boucheries) que les descendants d’Israël possèdent au faubourg Saint-Germain20. » Diplomatie ou bonne foi ? Ironiquement, les délégués remettent ces ornements « pour en faire une offrande au saint de la Montagne21. »
Abraham Furtado (1756 - 1816).
Les Allemands de la rue Brisemiche agissent de même. Certains n’hésitent pas à braver les lois révolutionnaires comme Moïse Pimentel qui, persuadé que ses activités au sein de la section de Marat le protègent, demande à la Ville le droit d’obtenir de la farine pour la Pâque car « les Israélites, reconnus citoyens français, sont dans l’usage, pendant huit jours de chaque année, de ne manger que du pain azyme, préparé par leurs mains22. » Même s’il n’obtient pas satisfaction, il n’est pas inquiété !
Robespierre arrêté en juillet 1794, la Terreur prend fin mais marque durablement les esprits : Joseph Mendès de Bordeaux et Jacob Pereyra à Paris ont péri sur l’échafaud. Seules, de rares pierres tombales évoquent encore un enthousiasme révolutionnaire révolu comme celle de Samuel Fernandès Patto : « Le Dieu Suprême m’a appelé en l’an vingt-troisième de mon âge. J’aime mieux ma situation que l’esclavage. Ô âme immortelle, cherche à vivre libre ou suis-moy comme un bon républicain23. »
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