Page 19 - Mémoires et Traditions
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                  L’affirmation d’une identité séfarade
  L’AFFIRMATION D’UNE IDENTITÉ SÉFARADE
Malgré le rétablissement de la liberté des cultes en février 1795, les liens communautaires sont distendus. Citoyens actifs, les Juifs ont maintenant tendance à se soustraire à l’autorité rabbinique. Le respect de la tradition s’incline devant la volonté d’une promotion sociale. En l’espace de vingt ans, la population juive de Paris a quadruplé soit près de 2 900 âmes dont 250 Séfarades parmi lesquels 170 Portugais. Des familles influentes de Bordeaux se sont installées dans la capitale. Cette nouvelle génération de banquiers et négociants souhaite davantage intervenir dans les affaires communautaires et fréquente désormais les Allemands. Ainsi, l’occasion leur est donnée lorsque Napoléon 1er souhaite organiser le culte israélite. Son intérêt n’est pas fortuit. De retour d’Austerlitz, l’Empereur est assailli par les plaintes des préfets alsaciens qui réclament des mesures contre l’usure juive. Les autres cultes étant reconnus depuis 1802, il estime qu’un décret impérial sur la question permettrait en même temps de contrôler cette minorité. Jean- Etienne Portalis, ministre des Cultes, prend alors contact avec des notables parisiens dont Théodore Cerfberr, Jacob Rodrigues et Olry Worms. Dans leur Plan d’organisation du culte juif en France, ils conseillent l’application d’un règlement commun tant pour les fonctions des rabbins que pour le déroulement des offices. Ils revendiquent aussi une instruction profane pour le personnel religieux et la création d’une institution organique du judaïsme avec un rabbin dans chaque département, assisté par six laïques.
Seul l’Etat aurait le contrôle d’une telle organisation. Napoléon 1er est impressionné par ce rapport et charge le Conseil d’Etat de rédiger un projet pour définir l’avenir du judaïsme24. Le 26 juillet 1806, l’Assemblée des Notables a lieu en l’Hôtel de Ville de Paris. Choisis par les préfets parmi « les plus distingués par leur probité et leurs lumières », 95 députés, au nom des 70 000 israélites, sont réunis dans la salle Saint-Jean.
Trois délégués séfarades ont été désignés par le préfet de la Seine : Saül Crémieux, Jacob Rodrigues et son fils Isaac. La famille Rodrigues accueille chez elle le représentant de Bordeaux, Abraham Furtado. Élu par 62 voix contre 32 au Nancéen Berr Isaac Berr, Furtado présidera l’Assemblée quant à Isaac Rodrigues, il sera le secrétaire durant les séances.
Le Grand Sanhédrin par de Martrait.
L’enjeu est capital car il s’agit de démontrer à l’Empereur la compatibilité du judaïsme avec le droit commun. Douze questions sont alors posées aux membres de l’Assemblée. Les trois premières portent sur le droit rabbinique et concernent la polygamie, le divorce et le mariage exogamique. Les trois suivantes s’intéressent au patriotisme dont la fraternité et le service militaire. Trois autres évoquent l’organisation cultuelle, en particulier la nomination des rabbins et leur autorité sur les fidèles. Enfin, les dernières se préoccupent du problème de l’usure et des moyens de l’interdire25. Les réponses obtenues donnent satisfaction aux représentants de l’Empereur dont le comte Molé. Le seul point sur lequel les députés n’ont pas transigé est celui des mariages mixtes. Sinon, tous ont souhaité l’intégration des Juifs dans la grande nation et une réglementation du culte israélite. Pourtant, les ministres doutent de la sincérité des députés juifs. Napoléon 1er partage leurs sentiments et annonce alors la convocation d’un Grand Sanhédrin (autorité rabbinique siégeant à Jérusalem dans l’antiquité) qui comprendra 71 membres dont deux tiers de rabbins. Pour l’Empereur, afin d’avoir l’entière autorité sur les masses juives, il est essentiel d’obtenir la garantie du rabbinat, si possible européen puisque les actes découlant du Grand Sanhédrin « seraient placés à côté du Talmud pour être articles de foi et principes de législation religieuse. »
16 - Léon Kahn, Les Juifs de Paris pendant la Révolution, Paris, Ollendorff, 1899, p. 163. 17 - David Feuerwerker, L’émancipation des Juifs
en France de l’Ancien Régime au Second Empire, Paris, Hachette, 1976,
p. 372-375 et 382-383. 18 - Claudie Blamont, « Mariages juifs à Paris de 1793 à 1802. », Revue du Cercle de Généalogie Juive, n° 57 et 58, 1999.
19 - Mayer Lambert,
« Liste des circoncisions opérées par le mohel Isaac Schweich. », Revue des Etudes juives, n° 52,
1906, p. 300.
20 - Journal de la Montagne, n° 163, an II, p. 1199.
21 - Gérard Nahon,
« Papiers de la communauté... »,
op.cit., p. 64.
22 - Léon Kahn, Les Juifs de Paris pendant la Révolution, op.cit.,
p. 192.
23 - Léon Kahn,
Le Comité de
Bienfaisance, op.cit.,
p. 170.
24 - Robert Anchel, Napoléon et les juifs, Paris, PUF, 1928, p. 57-59. 25 - François Delpech,
« Les juifs en France et dans l’Empire et la genèse du Grand sanhédrin. »,
Le Grand Sanhédrin de Napoléon, sous la direction de Bernhard Blumenkranz et Albert Soboul, Toulouse, Privat, 1979, p. 6-11.
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