Page 86 - Mémoires et Traditions
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                   Le «Musée» Du teMPLe BuFFAuLt
Il est courant qu’une synagogue ancienne possède parmi ses objets de culte de véritables trésors accumulés avec le temps, des objets d’orfèvrerie comme des éléments de mobilier, mais surtout des rouleaux de la Torah, le seul bien dont longtemps s’enorgueillirent les communautés juives. Or, autour de 1900, dans un contexte de mutations liées à l’aboutissement du processus d’acculturation découlant de l’émancipation, de nombreuses synagogues cédèrent leurs objets à des collectionneurs.
Des non-Juifs visiteraient également ce Musée, et en parcourant les salles où se dresserait de mille façons, l’image historique du Judaïsme, sous ses divers aspects, ils en auraient une conception autrement juste et exacte, que celle qu’ils puisent dans d’odieux pamphlets, fruits de la haine fanatique, et de la plus malfaisante imagination16. » La montée de l’antisémitisme depuis les années 1880 n’est donc pas absente des motivations. En France, il n’existait pas de musée juif. En raison d’une tradition qui voit dans l’Etat le garant du patrimoine, c’est le Musée de Cluny qui avait été choisi comme dépositaire de la collection d’Isaac Strauss rachetée à sa mort par la baronne Nathaniel de Rothschild (1890). Il est, dès lors, significatif, que dans le cadre du temple de la rue Buffault soit apparu un projet parallèle, communautaire et séfarade...
On connaît mal ce musée, dont la date de création n’est pas assurée. Peut-être dès 1877, mais il est notable qu’en 1910, Isaac et Moïse de Camondo, futurs mécènes des musées nationaux, ont offert à Buffault une partie des objets de culte provenant de leur oratoire familial, une autre partie étant confiée justement au Musée de Cluny. Il est aujourd’hui assez difficile de reconnaître les objets présentés, car certains dotés d’un caractère précieux étaient peut-être encore en usage dans la synagogue, avant d’être, beaucoup plus tard, retirés, puis mis dans des coffres avec ceux du Consistoire israélite de Paris (ACIP) provenant d’autres synagogues. Il est de tradition d’offrir des objets précieux, soit récents et réalisés par un orfèvre à la mode, soit anciens et de les doter d’une nouvelle dédicace. Dans les collections de l’ACIP, des rimonim d’argent, datant d’après Victor Klagsbald17 de 1798-1809 et réalisés en France, porte une inscription significative : « Offert par la famille Raphaël Rodrigues Peyreira, le 8 juillet 1851. »
  16 -Hippolyte Prague,
« Un musée israélite à Paris », Les Archives israélites,
5 janvier 1911, p. 2.
17 -N° 19, dans Jewish Treasures from Paris, from the Collections of the Cluny Museum and the Consistoire, catalogue d’exposition, Jérusalem, The Israel Museum, été 1982, p. 21.
18 -Jacques Biélinky (1881- 1943), d’origine russe, écrit dans la presse russe, yiddish, sioniste et française ;
en raison de sa notoriété,
il est sollicité par
de nombreuses revues séfarades du pourtour méditerranéen ; dans Menorah, par exemple,
il fournit des critiques d’art. Consulter Dominique Jarrassé, « La critique d’art dans les revues juives de l’entre-deux-guerres : Jacques Biélinky et la part juive de l’ “Ecole de Paris” », Les revues d’art : formes, stratégies et réseaux au
XXe siècle, colloque de l’Université d’Aix-IMEC, 2008, à paraître.
19 -Jacques Biélinky,
« Une illustre famille séphardite de Mécènes.
Les Collections Artistiques des Comtes de Camondo », Le Judaïsme sépharadi. Organe mensuel de
l’Union universelle des communautés sépharadites, n° 47, 30 novembre 1936, p. 166.
20 - On peut sans doute déduire qu’il s’agit des rimonim fabriqués à Alger en 1900 par Chekler frères présents dans les
collections de l’ACIP,
grâce à l’inscription.
Boîte à parfums. Don de la famille Moïse Millaud.
Prenant parfois conscience de leur valeur patrimoniale, elles les ont réunis en musée. À ce moment naît justement la notion de musée juif, aussi bien à Paris qu’à Vienne (1894), Dantzig (1904) ou Berlin (1907), le plus souvent dans le cadre communautaire. Le musée de Buffault s’inscrit indéniablement dans ce contexte. Hippolyte Prague, rédacteur aux Archives israélites, réclame en 1911 un « musée israélite » pour Paris : « La création de ce Musée juif, servirait les intérêts que nous défendons ici, et qui sont vitaux pour le Judaïsme, nous voulons dire le maintien de cette solidarité indispensable à son existence, la renaissance des traditions qui ont donné tant de poésie rayonnante à nos foyers. D’un autre côté, la Communauté de Paris, déjà plus que séculaire, en exhibant les papiers, pièces officielles, portraits, souvenirs qui rappellent ses origines, en évoquant ainsi les noms et les actes de ses fondateurs, rabbins et laïques, et de ceux qui contribuèrent à son développement, s’acquitterait envers leur mémoire, d’un élémentaire devoir de reconnaissance.
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Verre pour la Havdala.
Don de la famille Moïse Millaud.
  








































































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