Page 95 - Mémoires et Traditions
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                  La brillante civilisation des Juifs d’Espagne
  Sous le règne des Almoravides et des Almohades (fin XIe - début XIIe), la situation des Juifs dans l’Espagne musulmane se détériore sensiblement. Durant cette même période, les rois chrétiens, qui ont entamé la reconquête de l’Espagne, favorisent la vie des Juifs sur leur terre. La Castille devient alors un espace de liberté pour de nombreuses communautés. À la moitié du XIIIe siècle, les rois chrétiens castillans conquièrent la majeure partie de l’Andalousie. Leur attitude vis-à-vis des Juifs devient alors moins tolérante. À la fin du XIVe siècle, de véritables persécutions se produisent. En 1391, des communautés entières sont exterminées, les enfants vendus comme esclaves ou convertis de force. Refusant ce baptême imposé, un grand nombre de conversos continuent de pratiquer le judaïsme en secret.
L’an 1492 marque la chute du Royaume de Grenade, dernier bastion arabe en terre espagnole. Quelques mois plus tard, sous la pression du grand inquisiteur Torquemada, Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille proclament l’unité de l’Espagne et décrètent l’expulsion de tous les Juifs hors du Royaume. Tandis qu’une minorité de Juifs espagnols s’exile en Turquie ou en Afrique du Nord, la majorité trouve temporairement refuge au Portugal. Cette hospitalité sera de courte durée. Suite au décret du roi portugais Manuel 1er, ces réfugiés sont à leur tour exterminés ou convertis de force en 1497. L’expulsion des Juifs de Navarre, en 1498, sonne le glas de la dernière communauté juive sur le sol ibérique, après treize siècles de présence ininterrompue.
De nombreux crypto-Juifs demeurent toutefois en Espagne et au Portugal. Ces conversos, nommés plus péjorativement marranos en espagnol ou marraos en portugais, subissent les persécutions des inquisitions espagnole et portugaise mises en place respectivement en 1481 et 1536. Fuyant les autodafés, plusieurs centaines de marranes rejoignent des communautés juives déjà existantes (comme celles d’Amsterdam, de Londres, de Livourne, ou bien de Hambourg) où ils retournent ouvertement au judaïsme. D’autres, sous le couvert de leur identité chrétienne, s’établissent dans le Sud-Ouest de la France.
L’ÉPOQUE
DE LA CLANDESTINITÉ
En 1550, ces nouveaux chrétiens, regroupés sous l’appellation de « marchands portugais », obtiennent, sur la demande du philosophe André Govéa, des Lettres patentes du roi François Ier. Quelque temps plus tard, ils sont rejoints par de nombreux Juifs espagnols, qui bénéficient progressivement de cette appelations. Par la suite, le portugais, langue de ralliement et d’identification, est supplanté par l’espagnol, considéré comme la langue des intellectuels.
C’est également à partir de 1550 que des «nouveaux chrétiens» s’installent dans les faubourgs de Bayonne ou dans les agglomérations rurales environnantes. Mais la cité ne les reçoit pas dans ses murs et les tient en marge, de l’autre côté de l’Adour et au bout du pont, à Bourg Saint-Esprit. La pratique de la religion mosaïque leur est interdite au XVIe siècle ; les familles sont inscrites comme membres des paroisses, même si on ne les force pas à baptiser les enfants et à pratiquer le culte catholique. Pendant près d’un siècle, les Juifs prient secrètement dans des oratoires privés et ce n’est que vers 1660-1680 qu’ils reçoivent le droit d’édifier librement leurs synagogues. À cette même époque, ils achètent des terrains pour y établir leurs cimetières.
Après bien des vicissitudes, en décembre 1656, des Lettres patentes sont accordées aux marchands portugais bayonnais. À partir de ce moment, la communauté de Saint-Esprit-lès- Bayonne devient plus téméraire et engage, dès 1670, un rabbin en la personne d’Isaac-Israël de Avila1. Passage obligé des conversos qui fuient l’inquisition, Bayonne devient peu à peu la plaque tournante d’une judaïsation orchestrée par la communauté-mère d’Amsterdam, qui lui envoie des rabbins, formés dans ses séminaires, ainsi que de nombreux chantres. Des échanges épistolaires entre la métropole et les communautés périphériques établissent avec certitude qu’Isaac d’Acosta, probablement originaire d’Amsterdam, fait office de ‘hazan à Peyrehorade dès 16902. Déjà le 28 mars 1688, un certificat de mariage envoyé à Amsterdam atteste la présence d’un ‘hazan à Bayonne.
1 - Gérard Nahon, « Communautés espagnoles et portugaises de France (1492-1992) », Les Juifs d’Espagne, histoire d’une diaspora, 1492-1992, Paris, Liana Lévi, 1992, p. 117.
2 - Gérard Nahon, Métropoles et périphéries séfarades d’Occident, Kairouan, Amsterdam, Bayonne, Bordeaux, Jérusalem, Paris, Les Éditions du Cerf, 1993, p. 118 et p. 266.
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