Page 97 - Mémoires et Traditions
P. 97

                  La réforme consistorale et l’organisation du culte
  LA RÉFORME CONSISTORIALE ET L’ORGANISATION DU CULTE
Après la période révolutionnaire qui accorde la citoyenneté aux Portugais en 1790, Napoléon Ier relance le processus d’intégration des Juifs de France. En effet, l’acceptation des Juifs ne s’est pas faite sans mal dans la société française. En 1806, face aux récriminations qui s’élèvent contre eux, notamment à l’Est du pays, l’Empereur convoque à Paris une assemblée de notables Juifs présidée par le bordelais Abraham Furtado. Après deux longues années, les délibérations donnent naissance aux décrets du 16 mars et du 19 octobre 1808, qui introduisent de profondes réformes dans les rapports du culte israélite avec l’État. Dans leur volonté de réforme, les nouvelles autorités consistoriales se heurtent toutefois aux habitudes anciennes, comme la multiplication des lieux de culte dans des oratoires privés où l’exercice de la prière s’effectue de manière anarchique. Les oratoires sont alors progressivement supprimés pour laisser la place à de vastes temples israélites bâtis sur les modèles des édifices catholique ou protestant.
Le premier grand temple français est construit à Bordeaux en 1812 rue Causserouge. Dans cet imposant bâtiment, qui sera détruit par le feu en 1873, on célèbre les fêtes avec magnificence. Un chœur d’hommes chante avec ferveur les mélodies portugaises, qui ont été notées et harmonisées. C’est à partir de cette période que date l’essentiel de notre connaissance du rite musical des communautés portugaises françaises.
Un manuscrit trouvé il y a quelques années à Bordeaux retrace le programme musical qui fut exécuté lors de l’inauguration de cette synagogue, le 14 mai 18129. Il comporte neuf morceaux : huit d’entre eux sont des arrangements d’airs traditionnels pour chœur et orchestre réalisés par Jean-Baptiste Auvray (1775 ? - 1840) sur des versets bibliques10 ou des prières de la liturgie judéo-portugaise. Le neuvième morceau, Ezrékha El, est une composition attribuée au grand rabbin Abraham de Cologna (1754-1832), membre du Grand Sanhédrin comme le grand rabbin de Bordeaux Abraham Andrade. Ce cantique est dédié à la gloire de l’Empereur et à sa bienveillance envers les Juifs. Les paroles de cette poésie religieuse ont été tant bien que mal « plaquées » sur la musique de la cantate Gott erhalte Franz den Kaiser, attribuée à Joseph Haydn11, et dont l’Autriche a fait son hymne national.
Il est fort probable que ce chant soit la reprise d’un air interprété à Paris six ans plus tôt par Abraham Andrade. En 1806, le temple parisien de la rue Saint-Avoye célèbre l’anniversaire de Napoléon 1er. Accompagné d’un chœur, le rabbin Abraham Andrade, chante à cette occasion un hymne en l’honneur de l’Empereur, puis l’orchestre exécute une symphonie de Haydn12. Le 15 août 1809, l’anniversaire de l’Empereur est à nouveau fêté au temple. Un ‘hazan séfarade, du nom de Dacosta, est chargé de l’organisation musicale. Les chantres sollicités sont Plozky, accompagné de Isaac David, Meyer Plozky et du jeune Molina. Dans son projet d’organisation, le Consistoire évoque l’emploi d’un chanteur, non ‘hazan, Abraham Brandoni, ainsi que celui de deux harpes adjointes à un piano organisé (peut- être un ancêtre de l’harmonium ?), et d’enfants de chœur13. Le succès de la cérémonie parait très grand puisque, dans sa séance du 16 août 1809, le Consistoire israélite de Paris entrevoit la possibilité de nommer Dacosta Maître de musique. La fonction ne sera en fait créée qu’en 1870 pour Samuel David.
Face à l’évolution musicale des cultes parisien et bordelais, Bayonne cherche, à son tour, à donner plus de solennité à ses offices publics. Durant la séance du 9 juin 1813, les autorités consistoriales décident de vastes travaux d’aménagement dans la synagogue de la Hébera « afin d’y placer plus commodément les congréganistes, les autorités civiles et militaires et les étrangers qui s’y présentent pour assister à la solennité des cérémonies religieuses ; qu’il convient aussi, pour donner à ces cérémonies la pompe et l’éclat dont elles sont susceptibles, que les officiants soient en costume ecclésiastique et les servants avec un costume particulier ; qu’il soit composé un chœur qui devra chanter les diverses parties de nos prières dans les intervalles où l’officiant fait les psaumes d’usage14.»
9 - Manuscrit Nounès n° 3, p. 80.
10 - Le premier chant Téhilat n’est autre que le verset 21 du psaume 145 de David, le septième chant, Shirah ‘Hadashah, quant à lui, correspond au verset du cantique de Moïse (Exode, chapitre 15). Pour plus de détails, consulter Julien Grassen-Barbe, La musique synagogale bordelaise au XIXe siècle, Mémoire de Maîtrise sous la direction de Lothaire Mabru et la co-direction
de Hervé Roten, Université Michel de Montaigne Bordeaux III, U.F.R. S.I.C.A. (Département de Musicologie), 2003-2004, p. 78-79.
11 - Ce Lied, composé par Haydn en 1797, fut repris plus tard comme thème du mouvement lent du quatuor à cordes en Do M., op. 76 n° 3, «L’Empereur». 12 - Hervé Roten, Les traditions musicales judéo-portugaises en France, Paris, Maisonneuve & Larose, 2000, p. 37.
13 - Gérard Ganvert, La musique synagogale à Paris à l’époque du premier temple consistorial (1822-1874), thèse de Doctorat de troisième cycle, Université Paris IV Sorbonne - U.E.R. de Musicologie, 1984, p. 62.
14 - Henry Léon, op.cit., p. 238-239.
 93
 




















































































   95   96   97   98   99